Il est assis devant sa maison à Villefranche, à l'ombre sous la verdure. Le dernier numéro de L'Équipe est posé sur la table de sa terrasse : Antonin Rolland vient d'en faire une lecture attentive, déjà plongé dans l'édition 2023 de ce Tour qui s'est élancé deux jours plus tôt depuis Bilbao. "Il y a eu une belle arrivée hier avec un français qui gagne l'étape", commente-t-il.
Le 2 juillet en effet Victor Lafay s'est imposé à Saint-Sébastien grâce à un sprint final à la toute fin de cette deuxième étape, au nez et à la barbe des autres coureurs favoris. "J'ai quand même eu peur qu'il n'aille pas jusqu'au bout : un kilomètre, c'est long", sourit l'ancien coureur aujourd'hui âgé de 98 ans. Natif de Sainte-Euphémie, il débute dans le cyclisme au Vélo Club Caladois, devenu le Vélo Club Villefranche Beaujolais, à l'âge de 18 ans, en 1942.
"J'ai fait les courses de club de 1941 en non licencié, je n'y étais pas encore rentré", explique celui qui un an plus tard terminera 2e du Grand prix de Cours-la-Ville. Si l'amour du vélo ne l'a depuis jamais quitté, c'est un tout autre sport qui animait Antonin Rolland. "Ma passion, c'était le foot, mais à Sainte-Euphémie, il n'y avait pas de club, on jouait avec celui de Misérieux : c'était le seul sport qu'on avait, se souvient le sportif. Mon père n'aimait pas le football, il a fallu que j'abandonne un peu face à ses remontrances : je me suis donc mis au vélo".
Le fils de boulanger du village, ami de ses grands frères, l'initie au cyclisme, sport dans lequel il va rapidement démontrer de grandes capacités.
Le Tour de 1955, souvenir inoubliable
S'il a pris part à la Grande Boucle à dix reprises au cours de sa carrière, de 1949 à 1960, c'est le Tour de France 1955 qui reste le souvenir le plus mémorable de sa carrière de cycliste. "En 53, j'avais plutôt bien marché (NDLR : 7e au classement général final du Tour 1953) mais c'est en 55 que j'ai eu le maillot jaune".
Vainqueur de la 2e étape entre Dieppe et Roubaix il occupera deux jours plus tard la 1ère place du classement pendant douze journées. "Je ne l'ai perdu qu'une seule journée, avant de le reprendre le lendemain à Briançon avec la montée du Col du Galibier".
Le coureur caladois redoublera ainsi Win van Est qui lui avait ôté le maillot lors de la 7e étape, gardant ce dernier jusqu'à la 15e. À l'époque, pas de podium pour les vainqueurs, "je n'en ai jamais connu de ma carrière, que ce soit au Tour, les championnats de France où j'ai fini deux fois deuxième et toutes les autres compétitions : ça n'existait pas !", raconte celui qui arrêtera sa carrière professionnelle en 1960.
Se voyait-il gagner lors du Tour de 1955 ? "Il me semblait bien que je n'allais pas aller au bout, je n'étais pas prévu au départ pour gagner le Tour, appuie Antonin Rolland. Ce n'était pas dans le contrat ! J'ai toujours dit que si on m'avait dit dès le départ "tu vas faire 5e", j'aurais signé tout de suite".
Et puis, il y avait les supérieurs de son équipe, Raphaël Géminiani et, bien sûr, Louison Bobet, qui sera au final le vainqueur de ce Tour, Antonin Rolland, coureur discret, restant au service de cette équipe française dans laquelle il court. L'histoire de cette Grande Boucle 1955, avec tout ses rebondissements et ses anecdotes, le journaliste et romancier Jean-Paul Savart en a fait un livre, Passe ton Tour Tonin, paru ce printemps aux Éditions du Poutan.
Si l'histoire est romancée, l'ouvrage s'appuie sur de nombreuses archives et des témoignages des acteurs du Tour de 1955, à commencer par le principal intéressé lui-même. Après sa carrière de coureur, il a continué le vélo en amateur et a monté son magasin de vélo, les Cycles Antonin Rolland à Jassans, toujours en activité et aujourd'hui tenu par son petit-fils. Il est enthousiaste quant à la 12e étape du Tour 2023, très beaujolaise. "Ça aurait été dans mes cordes je pense, j'aurais beaucoup aimé la faire", conclut-il.