Alors que la baguette de pain française vient d'être inscrite au patrimoine immatériel de l'humanité par l'Unesco, soulignant sa sacro-sainte place dans l'alimentation et la gastronomie française, 2023 s'annonce difficile pour les boulangers, touchés de plein fouet par la crise énergétique qui frappe le pays.
À la boulangerie l'Atelier de Villefranche-sur-Saône, l'inquiétude est de mise pour Nathalie Lorenzo, qui emploie près de 24 personnes. "Tout a augmenté, ma facture d'électricité a grimpé de près de 207 % en moins d'un an. Je suis passé de 3 200 € par mois à plus de 9 600 €", souffle-t-elle. Une inflation qui ne se limite malheureusement pas qu'aux coûts de l'énergie. "La farine, le sucre, le beurre l'ensemble des matières premières ont subi une forte hausse (NDLR : environ 30 %), commente la cheffe d'entreprise.
Une problématique à laquelle l'entrepreneuse souhaite faire face sans la répercuter sur les prix qu'elle propose à près de 1 000 clients journaliers. "Je ne veux pas augmenter de 20 % mes produits, même si cela est difficile en ce moment", glisse-t-elle. Pour l'instant, Nathalie Lorenzo reste dans l'incertitude quant à son activité et aux aides annoncées par l'État. "Je ne sais pas si on aura le droit à des subventions vu que nous sommes une grande entreprise.

À l'heure actuelle, je n'ai aucune nouvelle", affirme la dirigeante. Une situation anxiogène pour la gérante qui malgré la réputation et la bonne fréquentation de sa boulangerie, a du mal à joindre les deux bouts. "J'ai encore de nombreux emprunts à rembourser et pour l'instant j'attends de savoir comment on va s'en sortir. J'espère que l'État nous soutiendra et fera en sorte que les prix ne s'enflamment pas plus".
"Une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes"
La boulangerie-pâtisserie de Pouilly-le-Monial à Porte des Pierres Dorées reste pour le moment "à l’abri" de ces fluctuations : le contrat de trois ans signé par les deux commerçantes avec leur fournisseur court jusqu’à l’automne prochain.
Les mesures annoncées par la première ministre, Élisabeth Borne, ne sont pas totalement rassurantes et la pression est présente à chaque instant, d’autant que les commerces voisins connaissent déjà de graves difficultés, avant même leur mise en application début février. "Nous ne sommes pas encore concernées mais nous avons cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes et nous nous inquiétons fortement pour tous les autres commerces dont nous sommes solidaires".

Du côté de la boulangerie les Trois Petits Bannetons à Saint-Julien, où 800 baguettes sont produites chaque semaine, l'énergie n'est pour l'instant pas le souci majeur de Cédric Thomas et sa compagne. "Notre contrat d'électricité a été refait il y a deux ans et va jusqu'en août 2024 : lorsque j'ai changé de four, on l'avait renégocié avec EDF, explique le boulanger juliénois. On tout de même une petite augmentation de 15 % de prévue".
La forte inflation des prix des matières premières, en revanche, le préoccupe beaucoup plus "Tout a augmenté : on parle beaucoup du beurre et de la farine puisque se sont de gros postes de dépenses dans la profession, mais il y aussi le cartonnage, les boites… aucun produit n'y échappe". Lorsque Cédric Thomas a repris la boulangerie en avril 2016, il payait son beurre AOP Charentes-Poitou 4,6 € le kilo. "J'en ai reçu ce matin, il coûte désormais 10,6 €". Les œufs qu'il utilise ont quant à eux pris 5 centimes entre décembre 2021 et 2022 : en cette période de galette des rois, il en casse environ 200 chaque matin pour réaliser ses pâtisseries.
"Est-ce que les clients seront toujours au rendez-vous ?"
De fait, le boulanger juliénois n'a eu d'autre choix que d'augmenter ses prix pour rentrer dans ses frais : en avril 2022, les produits pain ont pris entre 5 et 10 centimes. Le snacking et la pâtisserie avaient également été augmentés ; récemment, il a à nouveau augmenté de quelques centimes ses produits les plus populaires. "2023 va être compliqué : on n'a pas de vision sur les matières premières : pour l'instant, les clients comprennent nos prix, mais si ça continue et que la baguette passe à 1 € 50 et la flûte à 2 €, seront-ils toujours au rendez-vous ?", s'interroge le boulanger. La profession est loin d'être la seule à souffrir de cette crise : de nombreuses autres professions sont actulellement en difficulté.
Plusieurs mesures de l'État et la Région prévues
Début janvier, le gouvernement réunissait représentants du secteur de la boulangerie et fournisseurs d'énergie : suite à ces échanges, Élisabeth Borne a annoncé que les membres de la profession pourraient reporter le paiement de certaines charges et cotisations sociales. De leur côté, les fournisseurs se sont engagés et résilier et renégocier les contrats lorsque les factures ont augmenté "de manière excessive".
Certains boulanger sont éligibles au bouclier tarifaire, d'autres peuvent bénéficier de l'amortisseur électricité, entré en vigueur le 1er janvier. Côté Région, il a annoncé la mise en place d'un fonds d'investissement de 6M d'€ pour les boulangers, dont le fonctionnement devrait bientôt être détaillé. Bernard Perrut, conseiller spécial de l'exécutif régional, indique que "Cette semaine, tous les boulangers sont actuellement contactés par la CMA et la CCI : il y en a 25 sur Villefranche et 25 dans l'Agglo. À partir de ces remontées de terrain et des besoins exprimés, des aides vont être mises en place".