Un projet à la croisée des arts et de l'Histoire. Lancé le 19 juin dernier, le financement participatif de la compagnie théâtrale des Mères Tape-Dur, à Tarare, a recueilli dans les temps les 10 000 € qu'elle cherchait à réunir pour réaliser un objet audiovisuel atypique : un documentaire artistique, entre vidéo, théâtre et danse, autour du passé industriel et textile de la commune.
Un concept né d'une forme de curiosité pour une histoire qui n'en suscitait pas tant jusqu'ici. "Nous avions réalisé plusieurs portraits vidéo et audio de Tarariens en décembre 2021 et ça nous a amené à nous intéresser cette histoire industrielle de Tarare qu'on ne nous transmet pas car le textile a une sale image et est mal vu, un empire qui s'est effondré et la blessure ne s'est pas refermée, raconte Angèle Junet, fondatrice du collectif.
On est presque tous Tarariens, je suis moi-même petite-fille d'ouvrière du textile. On s'est vite rendu compte que 70 % des travailleurs étaient des femmes et qu'il n'y avait presque rien sur elles dans les archives."
On est presque tous Tarariens, je suis moi-même petite-fille d'ouvrière du textile - Angèle Junet
Une histoire difficile à reconstituer
D'où une première démarche de rencontres et d'enquête de la part de ce groupe d'artistes. Angèle Junet a notamment découvert en discutant avec une ancienne ouvrière l'existence d'un pensionnat de jeunes filles à l'intérieur de l'usine JB Martin. "Elles étaient gérées par des sœurs et travaillaient tout le temps dans une usine très patriarcale, poursuit-elle. On parle de 450 gamines de 13 à 16 ans pendant 70 ans entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle."
Problème, l'essentiel des archives a été brûlé par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, période à laquelle l'usine a servi à confectionner des uniformes de la Wehrmacht.
La plupart des témoignages restant étaient principalement ceux des dirigeants de l'usine, offrant donc un regard biaisé, et seuls quelques graffitis ou le règlement du pensionnat en 1870 et 1910 ont pu donner des bases. La compagnie s'est donc orientée vers d'autres anciens pensionnats similaires qui existaient dans la région pour reconstituer ce qu'avait pu être la vie de ces ouvrières.
Sollicitée par la Ville
De là est sortie de Attendre que l'orage passe, une pièce de théâtre mettant en parallèle à Tarare le destin de Rosalie, une jeune fille apprenant le métier de tisseuse en 1876 et celui d'un jeune Algérien arrivant pour apprendre celui de maçon un siècle plus tard.
Un spectacle joué dans plusieurs lieux en lien avec le passé industriel comme l'ancienne usine Godde-Bedin. La compagnie ayant déjà travaillé sur des balades audio dans les quartiers, où danse et théâtre ont occupé aussi l'espace, l'adjoint à l'urbanisme et à la culture de la Ville Thomas Bertholon s'est vite montré intéressé par l'idée de rééditer l'opération pour mettre en valeur le bâtiment JB Martin.
L'établissement doit à l'avenir accueillir le siège de la communauté d'agglomération, une école de musique, la médiathèque ou encore une maison du Rhône. "Mais on est plutôt partis sur l'idée d'un documentaire vidéo car l'image est importante", précise Angèle Junet.
La Ville de Tarare, la Communauté d'agglomération de l'Ouest Rhodanien et la Drac Auvergne-Rhône-Alpes financent un peu moins de la moitié du projet et 25 % sont assurés par les 10 000 € du crowdfunding. Une démarche essentielle pour le collectif qui souhaitait impliquer "tous ceux et celles qui aiment la ville". La Région (réponse à l'automne), de potentiels mécènes et le surplus (470 €) du financement participatif seront sollicités pour le dernier quart.
Projection au printemps prochain
La quadragénaire, en charge de l'écriture, s'est investie avec son équipe pour offrir une création artistique originale. Alors que près de 80 % des interviews et 90 % des plans ont été déjà été créés, une dimension chorégraphique entre en jeu avec le tournage de plans d'une centaine de jeunes filles qui vont reproduire des mouvements devant un métier à tisser (tournage en octobre).
Le chant – qui était présent à l'époque chez ces ouvrières avec une chorale – y sera intégré. "On ne sera jamais dans une reconstitution historique, ce sera plus subtil et esthétique", promet Angèle Junet.
Pour la partie vidéo, cette dernière fait appel à Sylvain Berger, vidéaste locale avec lequel la compagnie travaille déjà sur des teasers et captations vidéo. Les enregistrements audio interviendront en novembre, le montage en hiver avant une projection au printemps 2024 "in situ dans le bâtiment JB Martin" avec l'aide de la mairie.
L'équipe des Mères Tape-Dur
Au total, onze personnes sont investies dans la réalisation du projet. Sylvain Berger et Angèle Junet à la réalisation, Léa De Saint Jean à l'administration, Marion Commarmond à la chorégraphie, Magali Mas et Nadège Benguesmia à la danse, Florence Morales et Wassim Nabli en comédiens, Carole Espinoza à la régie générale, Sylvain Olliver et Jonathan Lacroix à la technique et Nour Fezari aux relations publiques.