Un communiqué de presse du Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB) accompagne l'arrivée à la présidence du duo formé par Claude Chevalier et Louis-Fabrice Latour. Ce dernier, également patron de la Fédération des négociants bourguignons, évoque parmi les objectifs principaux le rapprochement avec le Beaujolais, "projet qui serait un événement marquant de notre mandature". Avant d'enfoncer le clou un peu plus loin. "Ce rapprochement va se faire. Il s'agit même d'un retour aux sources puisque jusqu'à une période proche nos deux vignobles étaient unis", peut-on lire.
Ou le rêve réinventé de la grande Bourgogne, lorsque les deux entités s'affichaient sur une seule et même carte, quand moulin-à-vent soutenait la comparaison en terme de prix avec les plus grands crus bourguignons. C'était il y a un siècle.
Cette volonté claire de rapprocher les deux interprofessions ne constitue pas une surprise. N'oublions d'ailleurs pas qu’officiellement le vignoble du Beaujolais est rattaché à celui de Bourgogne par jugement du 29?avril 1930 du tribunal de Dijon?! Les négociants bourguignons achètent de longue date les vins du Beaujolais, et ils pèsent déjà lourds au sein du conseil d'administration d'Inter Beaujolais. En parallèle, de plus en plus de grandes maisons ou de vignerons talentueux venus du nord s'implantent dans la région (lire ci-contre). La création de l'appellation coteaux bourguignons, en 2011, a marqué une autre étape. L'an dernier, ce sont les organismes certificateurs qui ont été réunis. Le processus semble devoir aboutir à une fusion.
"C'est tout le monde ou personne"
Mais voilà, le divorce entre les ODG "crus du Beaujolais" et "beaujolais/beaujolais-villages" a sans doute troublé le jeu. D'autant que certains y ont vu la main invisible d'une Bourgogne déjà chez elle en Beaujolais. Louis-Fabrice Latour réfute en bloc. "Nous ne sommes pas du tout derrière tout cela. Nous avons d'ailleurs été très surpris. Nous savions qu'il existait des divergences, mais pas au point d'imaginer un clash", explique le président délégué du BIVB, qui observe la situation avec une grande prudence. "En tant que BIVB, nous sommes spectateurs. Nous attendons d'être contactés par les différents responsables. De toute façon, si le Beaujolais doit nous rejoindre, c'est tout le monde ou personne. Il faudrait ensuite définir comment assurer la représentativité du Beaujolais au sein de la famille viticole (NDLR?: comme en Beaujolais, l'interprofession est paritaire entre négoce et viticulture). Notre porte est ouverte, mais nous ne faisons pas d'activisme."
Pas de surenchère donc, mais ce constat livré brut : "Si on doit arriver à une fusion entre BIVB et Inter Beaujolais, que le Beaujolais nous rejoint contraint et forcé, ce sera un regret. Le fait de devenir la seule solution, ce n'est pas du tout notre souhait au départ. Nous ne sommes pas pour un rapprochement forcé."
"Le négoce est prêt pour la fusion"
Que les dissensions actuelles au sein de la viticulture beaujolaise ralentissent ou accélèrent le processus, le fond du dossier n'a toutefois pas changé. Des raisons de s'entendre, Louis-Fabrice Latour en voit beaucoup, lui qui a repris -?à la tête de la maison familiale?- les vins Fessy (Saint-Jean-d'Ardières) il y a quelques années. "J'ai toujours trouvé que la région manquait d'opérateurs. C'est sans doute l'une des raisons des difficultés économiques du Beaujolais. En tant que patron de Latour et président du négoce bourguignon pendant dix ans, la question de savoir si le Beaujolais fait partie de la Bourgogne ne se pose même pas. Au négoce, nous sommes prêts pour la fusion des deux interprofessions. Le point de vue est forcément un peu différent si l'on se place du coté des viticulteurs, analyse-t-il. En Bourgogne, l'espace est restreint. Ici, il existe. Il y a des possibilités pour nourrir un chiffre d'affaires. Beaucoup de nos sociétés ont doublé de taille, il nous faut des vins."
Pour Louis-Fabrice Latour, le modèle bourguignon (une marque commune alliant production et négoce) dispose d'un bel avenir un Beaujolais, "même si pour l'instant les surfaces cultivées par des Bourguignons représentent sans doute à peine 1 % des vignes plantées".
Le porte-parole de l'interprofession décrit les Bourguignons comme les meilleurs partenaires possibles. "Nous ne sommes pas des révolutionnaires. Nous sommes à une heure d'ici. Les négociants disposent d'un ancrage en Beaujolais et ceux qui s'installent dans des domaines ne vont pas s'en aller du jour au lendemain, rassure-t-il. Les hommes se connaissent, les responsables bourguignons et beaujolais se voient, discutent. Le mot fusion n'a rien de tabou. C'est un processus inévitable, c'est le sens de l'histoire."
"Tout ne serait pas géré depuis Beaune"
Le président de l'interprofession dresse la liste des avantages supposés : "Le BIVB amènerait des moyens financiers, humains, la puissance de son réseau. Le Beaujolais pourrait apporter beaucoup de choses également, sa notoriété, sa présence au cœur d'une région proche de Lyon, à la puissance économique supérieure à la nôtre. Ensemble, nous pèserions davantage vis-à-vis de l'extérieur. Et puis beaucoup d'opérateurs se lanceraient en Beaujolais si des règles communes existaient. Naturellement, le Beaujolais bénéficierait d'une communication spécifique. Tout ne serait pas géré depuis Beaune". Encore faudra-t-il au préalable lever les principaux obstacles, à commencer par celui de la délimitation de l'aire de production. Certains viticulteurs beaujolais contestent un décret ministériel de 2011 qui ne les autorise plus à produire sous l'appellation bourgogne. Saisi, le Conseil d'Etat devrait statuer très prochainement à ce sujet. Mais pour les vignerons du nord, cette demande passe très mal.
Autre défi, la filière parviendra-t-elle à imposer l'appellation coteaux bourguignons sur le marché?? "C'est l'appellation socle, celle qui rapproche, qui permet de faire le lien entre Bourgogne et Beaujolais. Ce sera la clé du rapprochement", prédit Louis-Fabrice Latour. 2015 ou l'année charnière.
Julien Verchère